Transcender l’Incarcération

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by Will Anderson
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Read this essay in the original English in Issue 010: JUDGE.

Résumé : Dans cet essai, l’écrivain, musicien et théoricien incarcéré Will Anderson partage ses réflexions sur l’incarcération physique tirées de ses propres expériences. Will Anderson considère également les manières dont l’Islam et les réalités de l’expérience transgenre interagissent et dépassent l’incarcération. Dans une époque caractérisée par l’édification de coalitions d’un côté et politiques d’opposition de l’autre, quelles sont les transformations sociales nécessaires pour faire de l’abolition de la police et des prisons une réalité ?


J’ai pris l’habitude de m’asseoir en tailleur près de l’extrémité de ma couchette du bas, pour lire ou écrire, ou pour potasser le reste de mes cours pour ma licence de philosophie. Ce n’est pas exactement confortable, et l’éclairage n’est jamais tout à fait parfait, mais le siège en inox qui pivote d’en dessous du bureau le long du mur opposé l’est certainement moins. Parfois, après qu’ils nous verrouillent pour la nuit, je presse mon dos contre le coussin de mousse pour amortir le cadre métallique et attends que mes articulations vieillissantes se mettent en place et que la douleur s’estompe, et laisse le scintillement de la télévision m’emporter dans les bras de Morphée.

La nuit dernière, j’ai regardé une partie du documentaire de Ken Burns sur Muhammad Ali sur PBS. Il y était question de son combat contre les Etats Unis, autour de la question d’honorer ou non sa conscription et de s’enrôler pour le Vietnam, et comment son éducation religieuse par la Nation of Islam a nourri son idéologie d’objection de conscience à la guerre. J’ai aimé Ali dès la première fois que j’ai vu When We Were Kings par Spike Lee [réalisé par Leon Gast], bien trop jeune pour l’avoir jamais vu boxer. Ce qui a capturé mes pensées de la nuit dernière, ce sont les témoignages de ceux autour d’Ali à l’époque, qui parlaient unanimement de sa détermination à aller en prison, ou même à mourir plutôt que de trahir ses convictions.

Je me suis converti à l’Islam en Novembre 2012, vers le début de ma détention, en grande partie dû à ma compréhension philosophique de l’Islam. Les mots Islam (littéralement « soumission à la Volonté d’Allah ») et Musulmans (littéralement « ceux qui se soumettent ») prennent des significations spécifiques en fonction de comment l’on perçoit les forces cosmologiques ou les forces de la nature qui sont hors de notre contrôle – ou, peut-être, les forces de la culture et de la société dans lesquelles on est né. « Soumission » ne doit pas se traduire comme une attitude de résignation mais plutôt comme une expérience de reconnaissance de notre rôle et de notre place au sein de ces forces hors de notre contrôle. J’ai toujours compris que la pratique d’un « bon » Musulman commence avec la prise de conscience de l’existence de ces forces et avec la construction d’un rapport avec celles-ci. Ce n’est qu’à travers ce rapport que l’on peut s’engager et choisir de vivre en réagissant à ces forces – réagir étant peut-être la seule chose sur quoi nous ayons quelque contrôle signifiant. Se soumettre c’est embrasser le défi d’une vie au service de, et avec la participation de quelque chose plus grand que soi. La soumission est la liberté d’affronter l’injustice, libéré de toute confusion de but ou de lieu, simplement car l’injustice est une mauvaise chose.

Une leçon qui m’ancre, parmi mes idées religieuses, est le concept islamique que nous sommes tous nés sans péchés, dans l’état naturel de l’Islam. C’est-à-dire, nous arrivons ici libres des conséquences inexorables de l’existence, dans une harmonie encore vierge des erreurs des autres ou de soi. C’est vers cet état que nous aspirons à retourner. Parce que grâce à ce commencement, peu importe notre condition actuelle ou notre état d’esprit, nous sommes essentiellement tous Musulmans que l’on le sache déjà ou non.

Dans cette quête, Ali se trouva en contradiction avec un gouvernement fédéral Américain indigne. Précédemment déclaré inéligible pour la conscription, son corps Noir a été éventuellement vu comme étant un don de la nature, et les opportunités que sa lutte a produites l’ont rendu visible. Il aurait pu être vu comme en quête de sagesse pour l’amour de la sagesse et pour le bien de sa communauté. Ce n’est qu’après qu’il soit devenu visible qu’ils ont conspiré pour le reclasser et venir le chercher. Sa vie entière s’ouvrait à lui lorsqu’il s’est trouvé confronté précisément à ces forces auxquelles l’on ne doit jamais se soumettre. De par leur inévitable architecture humaine, il existe certaines forces que nous sommes moralement obligés d’affronter et d’essayer de changer pour leur seule injustice.

Être incarcéré par l’État, c’est être enrôlé dans une lutte identique contre les forces de l’injustice. Peu importe ce que vous avez pu faire ou même si vous avez fait quoi que ce soit. Plus important encore, que votre incarcération soit physique ou pas n’importe aucunement. Nous marchons toujours sur un pont générationnel entre la criminalisation officielle et explicite des races, genres et identités queer, et les conséquences cachées et systémiques qui en découlent et persistent. La militarisation des communautés Noires et de couleur persiste, visiblement pour contrôler les mêmes stupéfiants que le gouvernement fédéral a lui-même introduit – historiquement par le biais de transports illicites et à présent au service du capitalisme pharmaceutique. Et alors que les mariages inclusifs permettent d’accepter certaines catégories de gens queer dans la société, l’espérance de vie moyenne pour une femme Noire transgenre en Amérique est de trente-cinq ans. Tout cela et plus encore rendent notre effort pour démêler l'(apparemment) insurmontable héritage de l’incarcération de masse, et le Complexe Industriel Pénitentiaire, des conditions sociales oppressives des sous-classes permanentes que ce système créé pour les familles, amis, communautés et sociétés (ou toute personne qui est ou qui a été incarcéré) aussi frustrant que de pousser un rocher de Sisyphe. Si vous avez besoin d’explications sur les nombres, cela veut dire tout le monde. Si vous ne comprenez pas « tout le monde, » cela veut dire vous.

Je suis né ostensiblement blanc. Je dis ostensiblement car la pigmentation de ma peau m’a conféré des privilèges – que j’essaie d’employer afin de voir justice et réformes pour mes camarades incarcérés. Cela dit, s’identifier comme blanc c’est embrasser une fiction raciste et classiste écrite par ceux au pouvoir pour exploiter ces perceptions erronées toutes-prêtes dans des buts néfastes. Vous me trouverez peut-être déraisonnable de rejeter l’idée d’une alliance raciale dans un environnement carcéral structuré autour des divisions raciales, où ma sécurité dépend apparemment de cette même supposée « solidarité, » mais le Complexe Industriel Pénitentiaire dépend précisément de cette sorte de confusion pour s’assurer que l’on reste à l’écart les uns des autres, détournés des simples vérités qui ont le pouvoir de démanteler le système en exposant les failles dans sa construction. Se réfugier dans la protection de la blancheur c’est embrasser cette conception des puissants inventée pour littéralement garder tous les autres à leurs bottes et chacun à couteaux tirés.

La science a depuis longtemps brisé le mythe des différences génétiques entre races, désormais reconnues comme étant un construit social, tout en prouvant les fléaux héréditaires de la pauvreté et des risques environnementaux. Cela pour dire, alors qu’ils ne peuvent pas prouver l’infériorité par nature, ils peuvent toujours insulter nos enfants de couleur en empoisonnant leur environnement physique et social, en s’assurant que leur sécurité soit compromise avant même qu’ils ne soient conçus. Ils sont les progéniteurs de la même infériorité contre laquelle leur affirmation de supériorité se dresse.

La non-blancheur aux États-Unis a toujours fait partie de la construction de la catégorie « blanc » qui entérine, protège et consolide le pouvoir. Ceux racialisés comme non-blancs pouvaient alors être assujettis ou aliénés, rendus autres. S’identifier comme « blanc » tout en étant conscient de cette histoire, c’est participer dans cet construction cynique et violent de notre société. Le seul fait qu’une personne blanche puisse choisir de s’identifier comme « juste humain » est un privilège à lui seul. Les blancs peuvent choisir les conflits culturels dans lesquels s’engager par vertu de leur couleur de peau. Toutefois, bien que la race soit un mal persistant dans notre culture, ce n’est pas le seul.

Je suis né ostensiblement homme. Je dis ostensiblement car le genre assigné à ma naissance m’a conféré des privilèges. Je suis venu à reconnaitre comment le fait de mon (trans)genre dans une société misogyne et anti-queer, est presque certainement ce qui m’a conduit inexorablement ici. J’ai commencé ma vie comme un sujet de l’État : j’ai été abandonné et adopté en état bébé, logé, nourri et élevé par des parents cisgenres, hétéros, blancs, chrétiens de classe moyenne vivant en périphérie. Incorrectement genré, j’étais émotionnellement confus et inconsolablement malheureux. Cela m’a rendu vulnérable à l’exploitation sexuelle par les plus grands, garçons et filles, entre l’âge de dix et dix-sept ans, jusqu’à ce que mon égo se défende en construisant une personnalité conformiste et en mettant sous silence ma vulnérabilité émotionnelle.

Mon premier séjour en prison était à l’âge de douze ans, lorsque j’avais tenté de frapper ma mère, et mon père avait appelé la police. J’avais passé la nuit dans une cellule, dans l’obscurité, isolé, sans la moindre idée de ce qu’il adviendrait de moi. Le lendemain matin, je m’étais rendu au tribunal par moi-même, où le juge s’était assuré que je regrettais mes actes avant de m’envoyer en probation, pour que l’État puisse continuer de me surveiller. Je pourrais vous donner la trajectoire crescendo de mes expériences d’incarcération tout au long de ma vie mais pour le moment je vais simplement dire qu’elles se sont interrompues à l’âge adulte, lorsque j’avais appris à mieux me cacher. Je suis resté (ostensiblement) libre pendant plus de dix ans, avant que l’inconscient fardeau d’une vie d’abnégation mette tellement de pression sur ma façade que j’ai laissé mon identité queer s’échapper.

J’ai passé la plupart de ces dix dernières années de vie derrière les barreaux à essayer de comprendre mon identité d’une manière qui unifierait mon sentiment d’appartenance, supposant que quoi que ce soit qui fasse partie de la machine de mon être n’ait pas de place dans la société. C’était à la lecture de Captive Genders : Trans Embodiment and the Prison Industrial Complex que j’ai clairement réalisé qu’être transgenre était le véritable crime.

Comme la race, le genre est une autre catégorie construite à partir d’un idéal sélectionné auquel tous les autres sont assujettis. Être déterminé de sexe masculin, c’est bénéficier du standard par défaut. Si être déterminé de sexe féminin signifie, en tant que membres d’une classe assujettie, subir discriminations et inégalités salariales, la menace constante de violences et d’agressions sexuelles, le risque accru de violences et meurtres conjugaux ; où cela place-donc les personnes transgenres, peu importe où elles se trouvent sur le spectre fluide des définitions de genre ?

En grandissant, je ne comprenais pas ce que cela signifiait, que je sois transgenre. Le langage n’existait pas encore. Le préfixe Latin « trans- » signifie, littéralement, « à travers, de l’autre côté, au-delà. » Il ne m’a jamais paru possible de considérer, voire même d’argumenter que je n’étais pas « un garçon. » Particulièrement comme je n’étais certainement pas « une fille. » Alors je me suis tu, et ma sexualité queer émergeante s’est trouvée repressée dans une profonde furtivité. Elevé dans un univers de privilèges masculins et blancs auquel j’ai toujours appartenu sans jamais en comprendre les raisons. J’avais attribué l’ignorance culturelle de mon véritable moi à mon éducation insulaire, et mon passé criminel à des choix individuels et des circonstances. Il a fallu le militantisme sans relâche et le sacrifice d’autres pour amener le langage de la communauté à la porte de ma cellule. Une fois que j’avais compris le langage et où regarder, j’avais découvert la structure inhumaine destinée à séparer et protéger ceux au pouvoir contre ceux qui en sont dépourvus. Le pire dans cette structure est comment elle nous a conditionnés à nier notre vrai soi. Et parce que nous sommes coupés de notre vrai soi, nous sommes nécessairement coupés les uns des autres. Nos communautés meurent de faim car nous sommes conçus pour croire que nous n’existons pas.

Je ne suis pas aveugle à la différence en nature entre la lutte historique pour l’égalité des races dans ce pays, et la lutte pour les droits des personnes transgenre. Sans parler de l’atrocité du génocide fondateur des autochtones, ou de l’aliénation perpétuelle de toutes choses féministes. Je continue d’explorer nos histoires respectives et observe, depuis l’intérieur de cette prison, des liens intersectionnels florissants. Chacun de nous parle son propre dialecte, mais la langue indigène de l’autre est la langue des opprimés. J’essaie de nous faire marcher sur le gravier, les dents, piques et rails de ce train de pensée particulier, espérant que l’on arrive à destination avec une conscience partagée des autres de race, genre, classe, pauvreté et santé mentale ; la liste est infinie. Nous avons été toujours supposés soit de se conformer, se cacher, finir en prison, ou mourir – souvent subissant désespérément les trois premiers, seulement pour rencontrer la mort de toute façon, brisés et seuls. Ce système a été construit ainsi et ce système fonctionne comme prévu.

Prisons, geôles, hôpitaux psychiatriques, centres de détention de mineurs, centres d’hébergements et un système de placement dysfonctionnel ; et au pire, même nos écoles. Toutes les institutions d’incarcération fonctionnent comme des entrepôts de l’échec et des inégalités sociales, pour ceux perçus comme « indésirables » pour le confort normatif. Nous vivons de l’autre côté d’une vanne qu’ils ouvrent seulement pour tasser plus de nous autres ici – pendant que la prétendue implémentation des politiques correctionnelles perpétue un moulin à eau de récidivisme via une stérilité économique, une piètre programmation éducationnelle et le trauma de l’incarcération laissé non traité.

Malheureusement, « l’abolition de la prison » se confronte à un problème sémantique similaire à celui du « définancement de la police. » « Définancer » peut se traduire par utiliser des ressources afin d’envoyer un expert psychiatrique répondre à une crise de santé mentale plutôt que des uniformes armés avec une cage dans leur véhicule, mais le message que certains comprennent les conduisent à craindre l’anarchie dans les rues et le saccage du poste de police. Ma contribution au mouvement abolitionniste n’a jamais suggéré que nous mettions le feu aux bâtiments et relâchons tout le monde. Il y a beaucoup de gens ici qui ont besoin de notre aide avant de retourner hors des murs et de tirer parti de leur seconde chance.

J’ai encadré des hommes adultes en classes d’éducation de base pour adultes qui savaient à peine lire. Il y a des gens qui affrontent des difficultés de santé mentale qui sont jugés suffisamment « criminels » pour la prison où les ressources sont douloureusement limitées, mais ne sont pas suffisamment « criminels » pour être envoyés en centre de soins pour recevoir un traitement. Nous sommes tous conditionnés dans une certaine mesure à être violents en société. Il y en a qui sont tellement endurcis à employer la violence comme réponse de premier ordre que leur inhabilité à fonctionner en société les empêche de participer aux rares programmes à leur disposition. Ils ne pourraient accepter aucune aide, même si elle se trouvait à leur disposition. Ils n’en sont simplement pas capables. Il est irrationnel de croire que cette exacerbation de la souffrance par le stockage transitoire des gens fait autre chose que d’empirer les problèmes.

Ces « pires » cas représentent des problèmes sociaux qui se manifestent à travers des conséquences individuelles. En tant que société, nous devons évaluer nos échecs afin de trouver des solutions viables. Au lieu de cela, la frontière entre la catégorie de préoccupations nécessaires pour la sécurité publique et la catégorie des classes assujetties formées et réprimées pour assurer le confort normatif devient floue, formant une seule large catégorie de menace perçue.

Un ami proche, avec qui j’étais incarcéré, a observé que la plupart des gens ne savent rien à propos de ce que signifie être emprisonnée. Pour eux, ce n’est qu’une abstraction, « un endroit où vont les « mauvaises » personnes. » Comprendre la prison uniquement en ces termes, c’est ignorer la formation des sujets comme antécédent aux restrictions imposées aux sujets par l’État qui conduisent inévitablement à l’incarcération. Parce que c’est le rôle de tout État de réglementer la société, la réglementation, en soi, n’est pas controversée. Là où la réglementation engendre l’injustice, c’est là où elle crée une distinction, puis favorise ou protège une classe au détriment de l’autre. Ou bien, et c’est essentiel pour comprendre les prisons aujourd’hui dans ce pays, face à son échec à traiter les personnes de manière équitable, l’État ne prend pas les mesures nécessaires pour résoudre l’iniquité dont il porte la responsabilité.

Les [b]lancs, les hommes blancs en particulier, étant d’une classe contre laquelle les classes assujetties sont formées, vivent la régulation de leur vie de la même manière que la plupart des gens vivent les prisons – comme une abstraction. Autrement dit, parce que la réglementation existe pour protéger le statu quo de leur privilège, pour eux, la réglementation est invisible.

De même, les classes aisées apprécient pleinement le rôle que joue la réglementation dans la protection de leur succès commercial et leurs moyens de contrôle de la société. Sauf que cette société s’est développée à partir d’un héritage moral condamnable et génocidaire. Être un autre n’est pas une abstraction. Être un autre, c’est exister concrètement en tant que sujet même de régulation (voir : criminalisation) par l’État – un État avec une seule réponse de facto dans sa boîte à outils d’assujettissement : l’incarcération.

Alors, de quoi parle-t-on quand on parle d’« abolition ? » En tant que militant pour la justice sociale et l’équité universelle des droits humains, je passe beaucoup de temps à examiner les causes profondes de l’inégalité dans la société américaine. En tant que personne transgenre non conforme incarcérée, je passe nécessairement beaucoup plus de temps à faire face au résultat. Je m’inquiète de ce qui arrivera à l’un d’entre nous si nous fermons les prisons simplement pour une « victoire » proverbiale. Si les militants ne parviennent pas à adopter la vision à long terme d’un monde sans prison, il y aurait probablement un contrecoup écrasant.

De mon point de vue incarcéré et militant, en aval de l’inertie des mouvements de justice sociale, j’ai l’impression que l’élan des événements qui ont suivi le meurtre de George Floyd s’est arrêté pour reprendre son souffle. La reconnaissance d’objectifs communs nous a permis d’échanger des notes et d’apprendre à parler la langue de l’autre, d’apprendre comment l’assujettissement des vies et des communautés peut être démantelé. Cependant, tout comme Ali – fier de ses dons, sans honte pour sa Noirceur – un soulèvement demande de la visibilité. Être visible, c’est être vu, et pas seulement par des alliés. Outre le Complexe Industriel Pénitentiaire et les groupes explicitement racistes et/ou fascistes qui s’opposent au changement, il existe des individus et des institutions qui bénéficient de l’assujettissement et qui peuvent l’avoir fait inconsciemment. Quiconque n’était auparavant pas préparé à reconnaître l’injustice et sa part dans celle-ci se débat maintenant pour savoir si et où il appartient. Maintenant qu’ils peuvent nous voir, comment vont-ils réagir ?

En attendant, peu importe ce qui vous définit comme un autre. Selon l’état carcéral, en vertu de votre existence, ils vous ont façonné une cage, que vous le sachiez déjà ou non. Ces contractions dans votre poitrine alors que vous considérez cette triste vérité est un guide pour votre conviction, exigeant une action du reste de votre corps, pour faire face à ces choses que nous sommes obligés d’affronter et de modifier pour leur seule injustice.

Est-il alors possible de traverser, de l’autre côté et au-delà de l’incarcération ?

Premièrement, il y a la capacité de contrôler son propre récit. Par exemple, il importe que j’aie pu composer cet essai personnel pendant mon incarcération et que Stillpoint existe en tant que plate-forme pour diffuser ces idées. Mais il importe aussi que j’aie dû composer cet essai sur une tablette à écran tactile de sept pouces, fabriquée sur mesure pour la prison. Chaque lettre est écrite sans traitement de texte, j’ai dû envoyer des dizaines de messages dans les deux sens, payant avec des « timbres » numériques pour chacun. Puis j’ai dû passer des heures sur des conversations éditoriales, des appels téléphoniques facturés à la minute, car la réglementation de ma communication empêche l’accès aux formats d’e-mails habituels ou aux documents partagés. La parole incarcérée est ostensiblement libre, mais réglementée et à but lucratif. Sans autorisation tacite et aide extérieure, les voix des incarcérés ne sont pas entendues. Et je dois toujours être conscient, non seulement de ce que je dis, mais de la façon dont je le dis.

Le partage d’expériences narratives cultive une expérience narrative partagée, formant des coalitions d’autres qui deviennent des communautés. Des communautés qui peuvent, grâce à une éthique d’inclusion, transcender paradoxalement les frontières des sujets. Le manque de conscience de la formation des sujets et des classes assujetties empêche les différentes communautés de s’entendre sur la situation actuelle, sans parler d’une histoire problématique et de ce qui devrait être fait.

Deuxièmement, il y a le rôle que joue l’incarcération dans le soutien de l’assujettissement. Il ne suffirait pas de fermer purement et simplement les établissements, en réaffectant les ressources à des solutions plus rentables. Les prisons, telles qu’elles sont conçues, ont également un but pour la psyché collective de cette nation. En plus de fournir une frontière physique entre la sécurité et l’insécurité, les murs des prisons délimitent l’inclusion dans la société fonctionnelle. C’est l’endroit où vont les « mauvaises personnes, » après tout.

Dans la construction actuelle, la formation des sujets crée des classes d’autres définies par la race, le genre, la sexualité, etc. Les classes privilégiées tirent parti de l’exclusion pour jouir du pouvoir, de l’argent, voire de quelque chose d’aussi fondamental qu’une identité, un sens d’appartenance, pour elles-mêmes. Afin de maintenir cette hiérarchie de privilèges, les classes assujetties doivent être casées quelque part. L’incarcération confirme ce processus par le biais du casier judiciaire et de l’enregistrement, tout en garantissant une sous-classe et une exclusion permanentes. Sans l’incarcération pour remplir cette fonction, la société devra compter sur d’autres moyens pour faire face aux problèmes non résolus d’iniquité, de préjugés et de génocide.

Cela nous amène à une question d’intégration. Sans un entrepôt dans lequel réprimer la crise d’identité collective, un tel récit peut servir à éduquer et à engager la société et aider à résoudre une dissonance durable sur l’injustice. Cela permet une reconnaissance consciente de chaque personne de chaque classe et encourage sa pleine participation à la société, pour le seul fait de son humanité. Une telle éthique bouclerait nécessairement la boucle pour finalement inclure les personnes qui croient encore compter sur la disparité actuelle à leur avantage. Une société qui n’a pas besoin de protéger une élite altériste n’a certainement pas besoin de cages structurelles, physiques ou autres.

Ce travail est aussi complexe que de démêler l’héritage de haine et de violence du système racinaire d’une société intraitable, mais ce travail peut commencer aussi simplement que d’apprendre une poignée de nouvelles significations pour les mots que nous utilisons pour décrire les gens. La langue commune des opprimés peut alors évoluer pour devenir une langue nationale, à travers les cultures, dans laquelle le nouveau récit est raconté et transmis sur le prochain pont générationnel, où il peut exploiter ce lien intersectionnel afin de lutter pour une société actualisée de justice et équité.

Will Anderson – Février 2022
Etablissement pénitentiaire du Minnesota – Faribault.


Muhammad Ali. Réalisé par Ken Burns, Sarah Burns, et David Mcmahon, PBS, 2021.

Stanley, Eric A., et Nat Smith (dir.). Captive Genders: Trans Embodiment and the Prison Industrial Complex. AK Press, 2010.


ARBITRARY NAMES CAN’T DEFINE SUCH TASTE

Arbitrary Names Can’t Define Such Taste takes the allegory of Dante’s Inferno to create interlocking and overlapping queer, alchemical alternatives to the strictures of language and the systems of the inherited world. View and download the full script from the video to read more through and about the work.


WILL ANDERSON writer

Will Anderson est un artiste Musulman transgenre/non-conforme et un militant à présent incarcéré à Faribault, Minnesota. Will Anderson est ouvert à tous et toutes contributions personnelles, professionnelles, universitaires de nature critique capable de résister aux restrictions inhérentes à l’emprisonnement. Pour entrer en contact, visitez sa page en suivant ce lien.

WILLIAM BARYLO translator

William Barylo est un sociologue et artiste visuel utilisant l’image comme outil pour explorer les questions de race, classe, genre et croyances à travers le prisme de la décolonialité et de la justice réparative. Sa recherche porte sur comment les sociétés en situation minoritaire parviennent à surmonter les obstacles socio-économiques et trouvent des moyens de résister, se réparer et s’épanouir. Afin de développer des solutions pratiques à travers sa recherche, il co-créé des travaux écrits et visuels avec divers artistes et cadres associatifs locaux. Il a réalisé le documentaire Musulmans Polonais et est l’auteur de Young Muslim Change-Makers.

BEN DAWSON artist

Ben Dawson est un artiste queer résidant dans l’Est de Londres, travaillant entre espaces physiques et digitaux. Le travail de Dawson explore les divergences et la symbiose complexe entre nos identités digitales et physiques à travers des installations filmographiques et vidéo. Le travail de Dawson est spéculatif et offre des questions ne cherchant pas de réponses, seulement destinées à produire des réflexions.

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