AWAY
by BASIA GOSZCZYNSKA
Traduit de l’anglais (américain) par Mathilde Ramadier.
Au commencement étaient les Cieux et la Terre. Il l’a fait vibrant et vert, des champs de végétation luxuriante, de phlox et de houx, une surabondance de saules pleureurs et de séquoias. Des brises ont balayé le Jardin et soufflé des tempêtes de samares d’érable et de graines de gommes sucrées ; les sols de la forêt étaient recouverts de feuilles, de lampourdes, pas encore concernées par le problème des pieds humains sensibles à leurs piqûres. Tout cela, magloire et glorieux, a été fait de Ses mains, patiemment et minutieusement. Ô saintes mains qui façonnent les courbes du baobab. Ô divins doigts tordant les épines d’une euphorbe, connaissant même ses violents desseins. Ô saint, ô divin, ô puissant — les arbres fléchis, les feuilles cagoulées, respectueux de la gloire de leur création.
Et puis il y a eu la (bonne) lumière, la réduction de moitié des jours et des nuits, puis l’atmosphère — que vous nommez, vous, futurs cosmonautes, l’ozone — et puis, dans un final époustouflant, une grand fin orgasmique explosant à travers d’infinis univers, l’humanité.
L’homme. Adam a d’abord été fait avec de l’argile et de la salive, façonné avec amour à Son image, et placé dans le Jardin. Il l’a regardé trébucher, tandis qu’il apprenait les merveilles de ses mains, ses pieds, ses dents, sa langue et ses yeux. Il a regardé Adam, le premier homme, s’observer attentivement dans un lac puis se reconnaître. Il a souri, ravi du succès, et Adam a souri avec Lui.
Puis la compagnie est arrivée. Pas Ève, qui devait venir plus tard, et n’était encore que de la salive tourbillonnante dans la bouche de Dieu. Seule Lilith, qui était sombre et agile, et qui errait dans le Jardin avec une sorte d’aura sage mais ouverte, exigeant la connaissance. Elle gardait la bouche entrouverte, aspirant l’air doux. Elle alla voir les animaux qu’Adam a nommés et sentit leurs fourrures, leurs plumes et leurs écailles. La peau lisse mais visqueuse des grenouilles et les dents indomptées des lions l’intriguaient. Désireuse d’apprendre, elle a tenu des conférences avec les fourmis ouvrières, s’occupait de babouins indisciplinés aux fesses rouges, et a regardé, fascinée, les mères mammifères s’adonner à la cueillette et s’occuper de leurs bébés. Tout ceci, cela dit, loin des yeux d’Adam. Il n’était pas si curieux, il était content de faire ce qu’on lui disait et pas grand chose d’autre. Son esprit était plat, sans rides, et il pensait très simplement.
« Lilith, allons à la rivière la plus éloignée. »
« Lilith, allons voir le poirier. »
« Lilith, allongeons-nous dans l’herbe sans rien faire, l’esprit libre et ouvert, et pensons peu. »
Lilith, bien que nouvelle à son humanité, était ennuyée par Adam. Il aimait travailler inlassablement, ne cessant jamais de penser ni de ressentir. Il adorait, mais ne vénérait point — du moins, pas comme Lilith, qui avait une fascination déliée, des questions, des théories, et faim de plus.
Elle se rendit là où elle n’avait pas le droit d’aller, mais l’arbre et le serpent l’ont ennuyée. Ce dernier lui parla, sifflant et secouant sa sonnette, et Lilith ne fit que le regarder. Que c’est curieux, pensa-t-elle. Que c’est merveilleux, sa voix scintillante, balayante, tel le vent dans les feuilles. Quelle chose divine que Dieu ait jugé bon que le fruit défendu soit si pur ! Une banane ! Lilith en avait déjà goûté une, constaté qu’elle n’aimait pas sa douceur jaune, et décida qu’elle aimait les saveurs acidulées comme les limons ou les graines de grenades. Adam, pensa Lilith avec amusement, apprécierait le fruit, lui qui est si peu créatif. Elle laissa le bosquet interdit et poursuivit sa recherche de choses plus divertissantes.
Dieu l’a trouvée lors de l’une de ses errances et s’est installé à côté d’elle, sous les traits d’une corneille. Il lui apporta une poignée de mûres, et la conduisit là où elle pourrait en trouver davantage. Ce fut un moment délicieux ; la bouche de Lilith, rougie par le jus de baies, et Dieu virevoltant sympathiquement avec les autres corneilles, jusqu’à ce que Lilith se tourne vers Dieu et lui demande :
« N’y a-t-il rien d’autre ? »
« Rien d’autre ? Que veux-tu dire ? » Dieu fit une pirouette. Il sautilla sur ses pattes de corneille, la tête curieusement inclinée.
« C’est juste que… » Elle marqua une pause le temps de rassembler ses esprits. « J’ai l’impression d’avoir tout vu. Je connais les étoiles, et les animaux, et je connais toutes les plantes. Je connais hier et aujourd’hui, et je peux imaginer ce que sera demain si j’ai des — Quel est le mot ? Ah, oui ! — des projets d’exploration. Tout, tout ça, c’est merveilleux, mais… »
« Mais ? »
« Ce n’est pas suffisant, » déclara Lilith. Elle se mordit la lèvre et pensa à Adam. « Ce n’est pas assez pour moi. »
Elle s’attendait à ce qu’Il soit déçu d’elle, mais Il se contenta de virevolter, de sauter un peu plus loin puis de voler vers une branche haute. Sur le moment, c’était une réponse insatisfaisante, mais les jours suivants, il y avait de nouvelles choses à voir. Pour Lilith, il y avait quatre nouvelles espèces de grenouilles, un ruisseau qui accueillait des créatures qui bondissaient dans l’eau, faisant des éclaboussures, ainsi que de nombreuses tortues géantes. Pendant un bref moment, ces choses l’ont amusée. Les tortues étaient très amusantes et c’était divertissant d’apprendre à Adam le jeu où il fallait essayer d’attraper en vol le poisson bondissant. Mais elle gagna la plupart des parties — Adam n’était pas compétitif, ou du moins, quelque peu intéressé par les sports où l’on doit s’affronter les uns les autres — et les grenouilles ont perdu leur charme après une semaine. Quel travail, se plaignit Lilith en silence. Des trucs, des activités inutiles pour garder son esprit momentanément occupé. Aucun contenu.
Énervée, en colère contre elle-même plus qu’elle ne l’était contre Dieu ou Adam, Lilith se replongea dans le bosquet interdit et y resta. Elle fit les cent pas, mangea des fruits et harcela un nid de guêpes jusqu’à ce qu’elles la punissent de leurs piqûres. Elle se débattait avec son esprit affamé, et quand elle ne pouvait plus réfléchir, manger ni faire les cent pas, elle se coucha sur l’herbe et dormit.
Ce fut un sommeil étrange et agité. Lilith remuait et se retournait, se contorsionnait et se tordait. Une chrysalide se forma autour d’elle, jaune terne et sinueuse, l’enveloppant de sa matière fibreuse. Elle resta dans la chrysalide pendant dix jours, rêvant, pensant aux étoiles et à la terre et à l’immensité de la mer, la parade du temps d’apparence infinie. Elle fondit, se reforma, puis fondit de nouveau, une soupe faite de sa peau et de ses pensées tourbillonnant autour de ses os.
Dans ses rêves se trouvaient les visions les plus vivaces. Il y avait des gens, comme elle et Adam, dans d’étranges abris, brillants et réfléchissants comme des poissons. Les gens étaient couverts de laine de mouton et de coton, certains de soie d’araignée. Certaines personnes étaient noires, comme elle, et d’autres avaient la peau brune, couleur olive ou très pâle. Ils parlaient des langues étranges, leurs bouches bougeant constamment, et ils étaient nombreux. S’asseoir, marcher, tenir des objets bizarres et ne parler à personne, et bouger rapidement, sans souci ni soin accordé à autrui.
Lilith erra dans la vision, curieuse mais effrayée. Aucun des humains ne semblait la remarquer. En fait, ils se déformaient autour d’elle comme si elle était un rocher dans une rivière. Lilith regarda autour d’elle, la terreur augmentant jusqu’à ce qu’elle tombe sur une humaine qui lui ressemblait parfaitement. Elle avait la peau lisse et sombre, ses cheveux étaient coiffés en longues tresses tombant le long de son dos. Elle fixa Lilith du regard, cligna une fois et très lentement, puis elle écarta les lèvres. De l’interstice sortirent des milliers de criquets et de petites grenouilles rouges. Au-dessus d’eux, le ciel devint gris comme s’il muait. Les gens autour des deux femmes commencèrent à suffoquer et à se gratter misérablement la gorge. Seules Lilith et la femme restaient immobiles, l’invasion continuant de se déverser de la bouche de cette dernière.
Décontenancée mais résolue, Lilith dit à la femme : « Est-ce tout ? »
« Moque-toi maintenant », dit la femme. « Souffre plus tard. »
Lilith se réveilla en sursaut. C’était un rêve étrange en effet, suffisamment étrange pour elle pour consulter Dieu. Il l’écouta, le visage ouvert et impatient, et quand elle eût fini Il la conduisit à un pâturage grouillant d’agneaux. Il lui dit de s’asseoir, et Lilith le fit, les lèvres pincées.
Dieu fredonna et dit : « Quelle imagination tu as ! »
« Alors c’est juste un rêve ? » demanda Lilith. Il y avait des cernes sombres sous ses yeux même si elle avait dormi plusieurs jours durant, et elle tressaillit lorsqu’une brebis passa devant elle.
« Qu’est-ce donc, à ton avis ? » demanda Dieu.
Lilith maugréa et pressa les paumes de ses mains contre ses yeux. Quelle réponse attendait-Il d’elle ? De l’honnêteté ? De la pacification ? Voulait-Il qu’elle renie son esprit, et efface toutes les visions nocturnes de sa mémoire ? Elle renifla, retira les mains de ses yeux et regarda Dieu. Il ressemblait, à ce moment-là du moins, à un paon albinos, aux plumes blanches éclatantes sur la queue, étendues dans un panache de neige. Il inclina Sa tête et suivit son regard de Ses yeux rouges, se méfiant d’elle, attendant sa réponse.
« Je pense… »
Il fit un pas en direction de Lilith, et se transforma en un agneau blanc immaculé avec de grandes cornes sinueuses. Un mouton bêla à Sa vue, et Il caressa gentiment sa joue avant de l’envoyer vers les autres.
« Je pense que c’était une prémonition. »
« Pour demain ? » La voix du bélier revêtait toujours le timbre grave mais espiègle de Dieu, un peu grinçant dans Son être-bélier. « Encore une fois, mon enfant, ton imagination est à l’œuvre. »
« Pas ce demain, » souffla Lilith. Elle était un peu fière, et n’aimait pas qu’on se moque d’elle. « Un autre demain. »
« Hum. Et tu penses que je construirais ce monde, cet endroit glorieux » (Là, Il tourne ses cornes en direction de la vallée) « pour le détruire ? »
Lilith secoua la tête. « Je pense que les humains vont le détruire. Bien que je ne sache pas comment, ni ne comprends pourquoi. »
« Je ne t’ai pas créée pour que tu sois destructrice. » Sa voix se fit plus basse, comme un avertissement.
« Non, non. Mais bien que Tu nous connaisses en profondeur, nous demeurons nos propres maîtres. Tu offres, sans limites, et nous continuons de tracer notre propre chemin. Nos esprits nous appartiennent. Je pense aux oiseaux quand tu me dis de penser au poisson. Tu nous as donné des prunes à manger, mais je préfère les pêches. Tu vois ? »
Une seconde mue eut lieu du côté de Dieu. Il perdit la peau de l’animal et se tint devant Lilith nu, tout lumineux et avec plein d’yeux, affolants de beauté. Des arcs-en-ciel d’opaline se déversèrent sur Lui, puis vers Lilith. Il plaça une main sur son épaule et dit en souriant : « Cher enfant, je t’ai peut-être damnée. »
Une fois encore, Lilith secoua la tête. « Non ! Tu n’aurais jamais fait cela. »
« Oui, pas délibérément. » L’être haussa les épaules. « Mais c’est fait. »
« As-tu vu, alors ? Que va-t-il arriver ? » La voix de Lilith était nerveuse, et elle prit soin de ne pas la laisser atteindre la stridence.
« Du calme, mon enfant. » Dieu lui serra l’épaule. « Repose-toi. J’ai vu, mais je n’interviendrai pas. »
« Tu n’interviendras pas ? » L’alarme se fit sentir. Lilith s’éloigna de Lui. « Pourquoi pas ? » Sa lumière s’assombrit, des nuages orageux tourbillonnant sur Son beau visage. « Me questionnes-tu, mon enfant ? »
Lilith sentit une pointe de colère dans sa poitrine, chaude et violente, lui tordant le cœur. Elle ne voulait pas être en colère contre Lui. Il était, outre Adam, son seul ami. Pourtant, elle ne pouvait comprendre comment un ami détiendrait des secrets ou laisserait se manifester des choses telles qu’elle les avait vues en rêve. Surtout, pensa Lilith, si cet ami est censé aimer sans limites.
Levant le menton en signe de défiance, elle rencontra une de Ses paires d’yeux et dit : « Oui, je te questionne. Je veux savoir pourquoi tu ne feras rien. »
Dieu fredonna, s’éclairant de nouveau. Il posa une main sur la joue de Lilith, une lumière sainte brûlant dans sa chair mais qui ne lui faisait pas mal. C’était chaud, et elle sentait qu’elle se détendait. « Tu verras. Pas maintenant, car tu es encore trop jeune pour le savoir, mais tu verras. » Il regarda ailleurs dans la vallée, les yeux distants. « C’est juste la première d’une longue série. »
La réponse troubla Lilith. La première d’une longue série ? Que pouvait-Il bien vouloir dire ? Elle soupira, pensa qu’elle n’obtiendrait pas de meilleur réponse de Sa part, puis quitta la vallée. Tous les rêves étaient une forme de communication avec Lui. Aurait-Il pu lui montrer ce rêve pour l’éclairer ? Pour la terrifier ? Et si c’était une prophétie comme Lilith l’avait imaginé, pourquoi alors devait-elle la détenir ? Son esprit était disposé au questionnement, à la réflexion. Il n’y avait pas de place en lui pour de potentielles horreurs, pour les premières fois, les secondes ni les troisièmes.
Elle était troublée. Elle retourna à sa forme de chrysalide. Seule, Lilith pensait, et deux nouvelles visions arrivèrent. Elle vit le Jardin déformé et détruit, un épais smog bloquant le ciel et d’étranges entonnoirs dégageant une odeur nauséabonde. Les nuages, minces et scintillants, qui protégeaient du soleil, se dispersèrent, et les plantes brûlèrent, se fanant puis reposant en cendres. Les arbres, ô saints géants, abaissèrent leurs têtes et ramenèrent leurs branches à l’intérieur de leurs troncs. Les oiseaux tombèrent du ciel, et le poisson remonta, les yeux vitreux, à la surface des eaux bouillantes. Lilith regarda l’effroyable ciel. Bien qu’il faisait très chaud, il n’y avait pas de sueur sur sa peau. Non, au lieu de cela, sa peau se déforma et saigna à cause de la chaleur, et de la poussière rouge s’accumula dans les crevasses de ses articulations. Elle essaya d’avaler mais elle n’avait pas de salive. Elle tomba en miettes, et son corps, son esprit, furent emportés par un coup de vent chaud.
Elle donna ce rêve à Dieu — « S’il te plaît, Ô Seigneur, ôte-le moi. » — mais elle garda le second pour elle. La seconde vision était celle de l’autre Lilith. Elle était enveloppée de laine de mouton, les traits froissés de peur mais la tête levée, pleine de détermination. Elle se tenait sur le rivage d’une horrible plage, de l’eau trouble clapotait à ses orteils. Elle était dans l’eau jusqu’aux genoux, puis jusqu’à la moitié du corps. Elle avala de grandes gorgées d’eau souillée, et Lilith sentit les toxines couler dans sa propre gorge.
Lilith rencontra la femme sous l’eau. Ses yeux trouvèrent la jumelle vêtue, et elle sentit une décharge de panique.
Jacassant, la voix pleine d’eau de mer, la femme vêtue dit : « Encore. Et encore et encore et encore et encore, jusqu’à ce que nous l’ayons bien fait. N’est-ce pas ? »
Sa langue était étrangère mais cela faisait parfaitement sens aux oreilles de Lilith. Et même si elle savait qu’elle était encore dans sa chrysalide, nageant dans une soupe d’elle-même, elle comprenait la femme et ce qu’elle signifiait.
« Il dit que c’était la première d’une longue série. »
La femme vêtue acquiesça. « Il y en aura de plus en plus. Nous nous reverrons, mais nous devons espérer qu’un jour viendra où nous ne nous verrons plus. »
La femme dériva en direction de Lilith et l’entoura de ses bras. Lilith prit une inspiration, surprise par cette nouvelle peau contre la sienne. La femme sourit. « En attendant. Au revoir, Lilith. »
Lorsqu’elle se réveilla, le monde était sombre. Il y avait des étoiles dans le ciel, et leurs formes étaient familières à Lilith. Elle était comme elles, mais elle était changée, d’une certaine façon. Elle sentit sa peau. Pas d’eau, naturellement, mais elle la sentait balloter dans son ventre et étouffer ses oreilles.
Après la seconde vision, elle était différente. Elle était elle-même, comme toujours, mais ses épaules s’enfonçaient sous le poids de la connaissance de l’avenir. Elle regarda Dieu, et savait qu’Il savait, bien qu’Il ne lui donnât aucun soulagement. Sa seule instruction était de n’en rien dire à Adam, d’attendre et d’être patiente et de s’accrocher. Ses entrailles brûlaient. Lilith souffrait et luttait contre le sommeil. Devint irritable et indifférente à cet égard. Elle confia ses secrets aux abeilles charpentières et aux mammouths et aux chiens sauvages. Elle murmura des prophéties dans les trous des arbres, et les enfouit sous des rochers. Elle murmura, mordit sa langue qui s’agitait, mais rien ne pouvait lui enlever ce poids.
Ah, elle ne pouvait pas s’en empêcher, elle donna à Adam de petites portions d’avenir. Bien que Lilith ne lui dit jamais la vérité pure et simple, elle la lui dit à sa manière, secrètement et par petits bouts. Elle lui dit qu’ils étaient nus, qu’il y avait plus de choses dans le monde qu’au moment où ils existaient. Lilith dit à Adam, chuchotant, un sifflement de serpent dans l’enveloppe de son oreille, de considérer la Terre et sa luxuriance, sa gloire, de ne rien faire pour détruire la finesse du sol.
« Chéris cela, » soupira Lilith à Adam. Elle ferma les yeux, pressa son front contre le sien. « Chéris ce moment. Et souviens-t’en, s’Il te fait oublier. »
Peu après, Lilith fut bannie. Dieu l’attendit, sévère et imposant sous les traits d’un lion, et la conduisit hors du Jardin.
« Vais-je mourir ? »
Il haussa Ses épais sourcils puis les rabaissa. « Tu connais la mort ? »
« Tu me l’as donnée. »
Il n’y avait pas de mort pour Lilith. Elle fut placée dans les limbes — pas tout à fait vides pour le Ciel, par tout à fait abyssaux pour l’Enfer — et laissée là pour regarder les événements du monde. C’était la chose la plus gentille qu’Il pouvait faire, comprit Lilith. Là, sans être dérangée, elle pouvait penser sans limites, son esprit comprenant et observant tout. Depuis son siège semi-céleste, elle vit Ève, la chose sans esprit qui la remplaça. Elle était comme Adam — pas de curiosité, pas de faim. Si Ève la miauleuse rêvait et était façonnée en chrysalides et parlait franchement avec des oiseaux, elle n’en montrait aucun péché. Quand elle vint dans cet endroit interdit, elle fut dupée par le serpent et, à son tour, dupa Adam. Et tous deux, créatures irréfléchies forcées de penser, forcées de savoir, furent envoyées hors de la luxuriance du Jardin. Loin, loin, Adam et Ève, dans la jungle, nus et effroyablement conscients de cela.
Lilith les regarda partir. Les anges montaient la garde, tenant prêtes leurs épées enflammées. Leurs visages effrayés brillaient dans la lumière de la flamme. Elle regarda Ève, grelottante, couvrant sa poitrine de son bras et s’éloignant, effarouchée par la lumière.
La prochaine fois, pensa Lilith, elle aurait la sagesse de ne pas montrer ce qu’elle savait.
AWAY
AWAY takes the form of a series of photographs which document an immersive installation of an apocalyptic landscape. The work invites viewers to contemplate our material legacy and challenges the concept that objects can be thrown “away”.
YAH YAH SHOLFIELD writer
Yah Yah Scholfield lives in Atlanta with her parents, her younger brother and her two criminally-inclined cats. When she’s not striking deals with goblins, she writes surrealist horror, cooks and plays video games.
MATHILDE RAMADIER translator
Mathilde Ramadier is a French writer of non-fiction essays and graphic novels (among others Sartre, a graphic biography, ed. NBM, NY) living between Berlin and Southern France. She studied philosophy at the École Normale Supérieure in Paris and is currently finishing a master’s degree in Psychoanalysis at the University of Montpellier.
BASIA GOSZCZYNSKA artist
Brooklyn-based artist, Basia Goszczynska, explores environmental and waste issues through a variety of mediums including sculpture, installation, performance, social practice and new media. She has presented her work in exhibitions at Arcadia Earth, Pinto Gallery, Chashama’s Space To Present and the Mid-Manhattan Public Library and has received fellowships from the Vermont Studio Center and the Massachusetts Cultural Council. Her work has been featured in The New York Times, Forbes, Vogue, and Artnet among others.
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