Boxer dans le vide et au-delà : Réflexions sur la Matrice Raciale au Temps des Contestations Raciales de l’ère Post-Floyd

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by Professor Jermaine Singleton
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Art par CRICE


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Encore une fois, CNN tourne en direct, vingt-quatre heures sur vingt-quatre en boucle. Mon attention bascule entre travail et agitation civile en haute définition. Une autre personne Noire meurt aux mains d’un officier de police ; pourtant, il y a quelque chose de distinctivement différent cette fois : le meurtre a été capturé en vidéo depuis plusieurs angles par des témoins. La vidéo présente l’officier Derek Chauvin, étouffant lentement la vie de George Floyd, un genou pressé sur son cou. Juste avant que le cerveau de Floyd ne soit dépourvu d’oxygène, Floyd appelle à l’aide sa mère décédée à la rescousse. Encore une autre preuve de corruption de la justice pénale, la circulation de la vidéo en masse fut l’équivalent d’une allumette jetée dans une poudrière d’un million de doléances raciales non résolues. Ajoutez à l’équation une pandémie mondiale et des nationalistes blancs à qui il tarde de faire un usage politique de l’agitation civile et voilà, hélas, la nation jetée dans les tréfonds de la très complexe matrice raciale.

La question de race est inter-sectionnelle (travaillant de concert avec d’autres catégories de différences sociales comme classe et genre), un construit, une institution sociale, sujets à changements, qui nous implique tous comme agents nécessaires à sa survie. Tous autant que nous sommes, nous vivons tous dans cet écosystème artificiel. Pour certains, c’est un espace de confort niché dans des possibilités réelles ou imaginées, tandis que d’autres sont rongés par la pauvreté, la culpabilité ou une continuelle aliénation. Ses pièges sont à la fois matériels, psychiques et nous font tous payer un prix, à des degrés variés, de manière admise et à la fois non réciproque. Je m’avance à soutenir qu’une vaste majorité des 58% de citoyens Américains sous l’impression que les relations entre races sont médiocres (ainsi que rapporté par une étude de l’institut PEW datée de 2019), en incluant ceux en première ligne de la résistance et du changement social, ne voient pas les différentes manières par lesquelles ils sont impliqués dans le meurtre de George Floyd.

Les bénéficiaires d’extrême-droite des mécanismes du capitalisme, les travailleurs pauvres, les modérés politiques, et les universitaires queer de couleur de la même manière, nous avons tous signés – dans l’espoir et le besoin d’appartenir, dans le sang, les larmes de la résistance, ou dans nos parts de sueur – le contrat social qui dévalue systématiquement la vie Noire. Récemment, la plupart des citoyens Américains ont ôté les poutres de leurs yeux, prenant note des chemins que le racisme prend à travers les manifestations discrètes, procédurières, et tactiques que sont l’insensibilité à la couleur de peau, la lutte contre les drogues ainsi que les idéologies et politiques néolibérales. Le pivot néolibéral qui s’est enraciné peu après les mouvements pour les droits civiques des années 60 a fusionné racisme et antiracisme de manière indiscernable. Oui, vous avez bien lu : la mobilisation néolibérale autour de la privatisation, la solvabilité financière, et la compétition maintiennent les hiérarchies raciales établies sans référence à la race ou au racisme. Par exemple, le régime néolibéral a coopté le climat culturel qui soutenait largement la déségrégation pour inciter la gentrification. Une série d’exonérations fiscales et de subventions pour l’accès aux logements, précédemment propriétés de personnes de couleur déplacées, a rendu possible, pour les nouveaux-venus urbains, la conversion d’espaces racialisés sous-évalués en richesse générationnelle aux dépens de familles Noires, sous couvert d’un capitalisme de libre marché racialement neutre.

Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de conscience et de responsabilité critiques raciales. Ce n’est plus un secret : la lutte contre les inégalités de l’enseignement aux Etats-Unis ne gagnera pas de traction durable aussi longtemps que notre système de propriété racialisé continue de distribuer de la richesse générationnelle de manière inégale selon la race. Plus encore, l’effort national appelant au dé-financement de la police, en réaction au meurtre de George Floyd sous les mains de Derek Chauvin, est une tentative stratégique pour rediriger les courants du capitalisme de libre marché prétendus « racialement neutres » hors de ce que nous avons fini par reconnaitre comme étant le « complexe industriel pénitencier. »

Conscience et responsabilité critiques raciales sont même allés jusqu’à passer à la télé ! Considérons les poignantes remarques de Trevor Noah sur la situation :

« Si vous vous êtes sentis mal à l’aise en voyant le supermarché Target se faire piller, essayez d’imaginer comment ça doit être pour les Noirs Américains de se voir pillés chaque jour. La police en Amérique pille les corps Noirs… la société est un contrat que l’on signe entre nous en tant qu’êtres humains… et la force de ce contrat ne tient qu’aux personnes qui le respectent… il n’y a pas de contrat si la loi et les personnes au pouvoir n’honorent pas leur part. »

Noah suggère un sous-entendu qui ne peut être assez répété : le principal but du mouvement Black Lives Matter [Les Vies Noires Comptent] est de combler tous les vides entre nos valeurs affichées et nos réalités vécues, au sein et au-delà du système de justice pénale. Pour certains, les termes « racisme systémique » et « intersectionnalité » ne sont que des mots à la mode échangés contre une petite mention personnelle ou institutionnelle dans le camp antiraciste de l’Histoire. D’autres ont en revanche hâte de dépasser symbolismes et rhétoriques vides en direction de changements antiracistes en mots et en actes.

Le projet d’aligner le fond et la forme de la citoyenneté Américaine est en projet depuis quelque temps. En effet, le travail de démontage des structures de privilèges et d’injustices existantes, en vue d’opportunités et résultats égaux, ont fait des progrès considérables. Intellectuels antiracistes, enseignants, militants culturels et manifestants tout autour du monde sont désormais équipés d’un savoir élémentaire des manières par lesquelles le silence de tous les jours et la notion d’ « un jour comme les autres » assujettissent les plus vulnérables d’entre nous à la mort et la dévalorisation aux mains de la loi et du capital. Cela dit, entre appliquer la connaissance du fonctionnement de la matrice raciale et passer au travail de démontage du racisme systémique se trouve un défi de taille, particulièrement en tenant compte des 42% de citoyens Américains qui n’ont pas l’air de penser que le racisme est une question d’importance pour la nation. Comment peut-on concevoir un nouveau mouvement des droits civiques, attentif aux structures de pouvoir social et politique mises à jour qui traitent les questions de vie et de mort de manières inégales en fonction de la classe et de la race ? Plus encore, comment peut-on faire ce travail en prenant garde aux tactiques basées sur la peur – et la rancœur – qui rejettent nos dernières avancées sur le terrain de la matrice raciale au large ?

Je vous invite à regarder au-delà de la brume rhétorique amalgamant manifestants et pilleurs en direction de l’ouvrage des Boogaloo Bois [les Garçons de Boogaloo], un mouvement épars de militants anti-gouvernementaux et pro-armes-à-feu radicalisés – certains, mais pas tous étant des suprématistes blancs – suspectés d’essayer de déclencher une seconde Guerre Civile. Ici, le travail de l’ombre qui soutient la matrice raciale dans notre époque contemporaine prend une forme bien distincte : il s’agit de notre tendance nationale à rapidement transformer en arme ou politiser la résistance Noire en fonction de sa capacité à promouvoir des produits de marque et à générer du capital. Laissez-moi vous expliquer : dans The Erotic Life of Racism [La Vie Érotique du Racisme], Sharon Patricia Holland évoque le clin d’œil de Michael Jackson à ce qu’elle appelle le « pouvoir ontologique » de la race, « trop fort pour être vaincu, trop faible pour être asservi. » Nous ne pourrons jamais répondre – et par là remédier – aux forces d’inégalités raciales en jeu lorsque nous politisons la douleur et les doléances raciales au point de les transformer en commodités qui éclipsent l’humanité Noire au quotidien.

Quelque part entre les publicités conscientisantes de Procter & Gamble, le nouveau respect que s’est découvert la NFL [National Football League, ligue nationale de football Américain] envers les opinions de Colin Kaepernick sur la réforme du système judiciaire, et les visages Noirs perdus entre les troupeaux de jeunes des générations Y et X en solidarité avec le mouvement Black Lives Matter, les vraies vies Noires se perdent de vue. A quoi bon les pillages et le vandalisme gratuits après que les appels à dé-financier la police ont donné des premiers pas, quoique timides, en direction d’une réforme du système de justice pénale ? Est-ce que les vandales et les pilleurs renvoient les ondes de choc du poids accumulé des inégalités raciales présentes, galvanisées par les duales pandémies de racisme et COVID-19, vers les superstructures capitalistes sans remords ? Peuvent-ils être justifiés d’agir ainsi ? Quoi qu’il en soit, cette méthode de manifestation érige d’innombrable barrières sur la voie de changements sociaux substantiels. Tout ce travail de l’ombre élargit les fossés idéologiques existants jusqu’au point de paralysie politique. C’est là, pour la tempête des forces des inégalités structurelles, une occasion parfaite pour souffler sur les individus et communautés lésés de manière disproportionnée et laissés pour compte sans dédommagements.

Pendant ce temps, dans une autre circonscription de la matrice raciale, le Star Tribune, le phare du journalisme libéral du haut-Midwest, offrait une première opinion à chaud sur la première nuit des émeutes manifestantes après le meurtre de George Floyd, offrant, à la vente au public, l’image de la rage Noire. La une présentait l’image sans visage d’un massif homme Noir figé dans une pose enragée devant un magasin AutoZone embrasé, un immeuble endommagé au préalable par un suprématiste blanc, qui sera connu plus tard en tant que « l’homme au parapluie. » La nation est devenue tellement insensible à la douleur et aux torts qu’elle inflige aux Noirs à la chaine, que même le plus conscient des photojournalistes peine à éviter l’appropriation de l’images de Noirs au service de biais raciaux préexistants.

Trop souvent, les griefs raciaux sont utilisés comme un bien élastique. Contrairement à l’eau et à l’insuline, la valeur des griefs raciaux change de manière signifiante en fonction des contextes situationnels et rhétoriques. Les griefs raciaux se voient offrir plus de temps d’antenne lorsqu’ils sont formulés pour le profit financier ou politique d’une entité extérieure. Notions comme celle d’« excellence à l’inclusion » fournissent aux administrateurs et cadres des opportunités rentables pour « parler en rond, » embrassant les minorités modèles sans offenser donateurs et clients conservateurs. Pendant ce temps, la polarisation, saine et sauve, s’intensifie entre les différentes interprétations des griefs raciaux, dans leur intensité et leur type. Dans ces contextes, le message sur les manières dont le racisme systémique joue contre les vies et les opportunités des Noirs tombe dans l’oreille de sourds. Ceci n’est toutefois pas un accident ; tout cela est planifié et mis en œuvre. Rarement nous entendons les plaintes des marginalisés ou, pire encore, nous hochons la tête de manière robotique lorsqu’ils les évoquent.

Chaque fois qu’une caméra de CNN fait un panoramique à travers cette remarquablement diverse vague de manifestants unis dans l’antiracisme, je suis optimiste mais réservé. D’un côté, je suis envahi d’espoir de voir l’alignement de la forme et du fond de la citoyenneté Américaine. De l’autre, je me rappelle des façons dont les griefs raciaux, particulièrement lorsqu’ils se normalisent, se trouvent appropriés au service de la hiérarchie raciale existante et de la superstructure capitaliste envahissante. Il y a une disparité entre les objectifs publics déclarés du néolibéralisme (le bien-être de tous) et ses conséquences réelles (la restauration du pouvoir des classes). Comme l’explique David Harvey, l’idéologie et la politique néolibérales, en assumant faussement un pied d’égalité, consolident le pouvoir des classes supérieures et favorisent la solvabilité des institutions financières aux dépens du bien-être de la population générale ou de la qualité de l’environnement.

Dans l’État racial néolibéral auquel les Etats-Unis appartiennent, les formes d’opposition collectives qui émergent en réponse à de telles pertes de droits civiques sont racialisées, tournées en armes et accueillies par des tactiques politiques (législation coercitive, emprisonnement, surveillance et propagande, principalement). La forme d’appropriation de la douleur Noire engagée par le mouvement Boogaloo a enhardi les politiques de ressentiment et d’indifférence raciales envers le mouvement Black Lives Matter en mettant le feu aux poudres de toutes ces tactiques de régulation en même temps.

Pillages et incendies, dont certains ont été organisés par les Boogaloo Bois dans les quartiers où les gens de couleur résident et travaillent, ont stratégiquement œuvré au sein et à l’encontre des griefs des communautés minoritaires à travers la nation. Pendant que l’image des manifestants, unis en groupes multiculturels opposés au racisme systémique à travers la nation, a distordu la notion de « divisions raciales, » l’infiltration de cet esprit de changement social – entre mettre gratuitement des immeubles en feu et provoquer des situations inflammables entre manifestants et forces de l’ordre depuis les lignes de touches – par ceux dont le but ultime est d’exacerber les polarisations raciales et politiques, auront des conséquences matérielles durables. Si nous prenons comme précédents historiques les émeutes qui ont suivi le meurtre du docteur Martin Luther King et le tabassage de Rodney King, les efforts pour reconstruire les infrastructures économiques ravagées seront accueillies par une inertie politique et des désinvestissements systémiques de toutes sortes. Le retour à la normale prendra des décennies. Certainement, ainsi que Michael Jackson le disait, « nous sommes coincés au milieu. »

Maintenant et plus que jamais, nous devons équilibrer nos aspirations par un fin réalisme. Nos chants de protestation et notre militantisme culturel doivent porter l’esprit de ce que Johnathan Winters appelle « l’espoir mélancolique, » à la fois embrassant et contre-attaquant la lutte incomplète pour la justice raciale. À mesure que nous avançons, nous devons questionner l’efficacité des stratégies de manifestation qui visent à replier « preuves à charges Noires » derrière « présomption d’innocence blanche, » en plaçant les corps blancs en première ligne de la protection des vies Noires. Pourquoi doivent nos alliés blancs se tenir en première ligne des manifestations raciales pour la préservation des vies Noires afin que la résistance gagne du terrain politique ? Dans tout son opportunisme bien-pensant, ce mode de protestation sociale décharge indirectement les officiers de police de la responsabilité de voir les vies Noires en tant que sujets politiques engagés et autonomes.

Je dois admettre : il se trouve une petite région de ma conscience qui pense tellement « Black Lives Matter » ces derniers jours, parce que l’autorité morale et l’hétéro-patriarchie blanche que Derek Chauvin incarne, se trouve maintenant à la barre d’un tribunal mondial. Faisons-nous le deuil de la perte d’autorité morale d’une hétéro-patriarchie blanche maquillée en Noire ? Ou bien faisons-nous le deuil de la perte d’autorité du système de justice pénale que Derek Chauvin représente par procuration ? Le progrès durable, au-delà de ce qui, en surface, apparait être un problème impossible à tracer, à l’intersection du racisme et du système de justice pénale, peut reposer sur notre volonté de faire le deuil des trois en même temps. Si les manifestants antiracistes d’aujourd’hui demandent à la nation de faire le deuil de l’autorité morale de l’hétéro-patriarchie blanche et du système de justice pénale au même titre que la perte de George Floyd, cela altère de manière significative la valeur transformative de ce point d’inflexion d’agitation civile. Cela signalerait notre capacité collective à joindre les points entre causes et effets, surlignant les attachements psychiques tenaces implantés au sein de nos structures institutionnelles visant à les réguler.

Jusqu’à la publication de The New Jim Crow: Mass Incarceration in the Age of Colorblindness [Le Nouveau Jim Crow: Comment l’Incarcération de Masse Transforme les Personnes de Couleur en Citoyens de Seconde Zone de Façon Permanente] par Michelle Alexander, la culture de surveillance néolibérale ciblant les vies Noires volait sous le radar car elle opérait sous couvert. Le contrôle et l’incarcération de « gens de choix questionnables » à des fins lucratives est une manœuvre systémique – entre offrir des primes aux officiers de police pour peupler les prisons privées avec des gens provenant de communautés Noires, et l’usage industriel des travailleurs incarcérés pour éviter de payer le salaire minimum et les charges de sécurité sociale – qui a gangréné les communautés pauvres de couleur de manière disproportionnée depuis la « lutte contre les drogues » du président Richard Nixon.

Redéfinir la définition prédominante de ce qui constitue la criminalité est à l’ordre du jour. Peut-être ce qui serait plus transformatif que de divulguer les motivations racistes de Derek Chauvin, prenant en compte le travail de l’ombre de la matrice raciale mentionné plus haut, est d’exposer ses corollaires institutionnels insidieux. La persistance de biais raciaux structurels, nourris par les discussions recyclées discutant les motivations et intentions d’individus racistes, est, en grande part, responsable du fait qu’il est temps de normaliser un ensemble de politiques et pratiques qui équilibrent la préservation de la vie et de la citoyenneté avec les efforts pour protéger la sécurité publique.

Les plus sérieuses tentatives pour prendre en compte et résoudre les griefs raciaux tombent à plat lorsqu’elles manquent les nécessaires sacrifices et responsabilités personnelles et institutionnelles. Quelque part entre ceux qui sont armés jusqu’aux dents et sans éthique de responsabilité, et ceux d’entre nous qui sont les plus vulnérables, sans protection légale égale, se trouvent les masses des relativement-privilégiés qui gardent ces pôles à distance. Nous devons nous poser la question qui dérange : y a-t-il une alternative pratique à placer une pancarte « Black Lives Matter » sur la pelouse ou à la fenêtre ? Marchant dans mon quartier, je suis tombé sur un appel à passer à l’action peint sur un immeuble désaffecté qui pourrait probablement détenir la clef de la disruption du travail de l’ombre du racisme : « aimez votre frère Noir. » Cette exhortation radicale est simple à comprendre et riche en promesses. La perturbation ciblée et soutenue de notre économie raciale demande que tous, occupant le milieu magique de relativement-privilégiés, partagent leurs stocks de privilèges et promesses sociaux, financiers et existentiels avec individus et familles Noirs. Autant excentrique et extrême que cela parait, voilà le signe d’une protestation radicale.

Les protestations raciales de cette sorte demandent courage, au milieu des bourgeonnants rituels de résistance aux changements sociaux. Le récent retour de ce que Billie Holiday appelle un « étrange fruit » – des corps Noirs lynchés pendus aux arbres en 2020 – à travers les Etats-Unis, peu de temps après que le maire Muriel Bowser a renommé une section de la 16eme rue longue de deux blocs à Washington, place « Black Lives Matter, » ne devrait pas être une surprise pour ceux qui comprennent la fonction disciplinaire du rituel de lynchage. En plus du contrôle social des vies Noires, le rituel fonctionne par la peur et l’intimidation pour ébranler les alliances inter-races. Cela, tout en renforçant l’équilibre durable entre blancheur et pouvoir. Alors que le pendule de la présidentielle Américaine oscilla d’un extrême à l’autre, de l’élection de Barack Obama en 2008 à l’élection de Donald Trump en 2016, les enjambées sur le terrain de la formation de coalitions de l’ère post-Floyd ont repoussé les forces conservatives de l’iniquité aux Etats Unis à leurs sources ancestrales de contrôle racial.

Les rituels de tourments raciaux abondent. Comment transforme-t-on cette poudrière en havres de sécurité financière et sociale ? Est-ce là même possible, dans le climat d’insécurité économique forgé par la pandémie de COVID-19 ? Il y a tellement de points d’intervention possible.

Equivalent à « aimez votre frère Noir, » une des formes de protestation les plus radicales dans laquelle les gens de couleur, travaillant à l’arrière et en première ligne des changements sociaux peuvent s’engager, est un copieux régime de soins personnels. Les vaillantes intentions et engagements de changement sociaux ne sont pas à la hauteur de la virulence de l’indifférence et des représailles criminelles engagées contre la lutte pour la responsabilité des structures supposées garantir l’équité des résultats et leur accès. Bien que personne vivant aujourd’hui n’a inventé la matrice raciale, nos actions et inactions nous impliquent dans la fortification de ses contours et de ses pièges. Avec nulle part où fuir et nulle part où se cacher, tout cela met en péril notre santé mentale. En conséquent, nous devons convertir l’affect destructif qui soutient le désespoir et la rage raciaux en désirs motivationnels pour une union plus parfaite. Comme Audre Lorde l’exhortait dans son essai Poetry is Not a Luxury [La Poésie N’est Pas Un Luxe] cela commence par prendre contrôle de l’affect destructif et lui donner une voie d’expression productive et extériorisée.

En addition, avec les nécessaires voies affectives en place, on peut bâtir le temps de penser et d’intégrer les structures de changement social dans les institutions auxquelles nous appartenons. Traduire les ordres de route de justice sociale en actions de changement social, prenant en compte les frontières poreuses entre fonds privés et budgets institutionnels, est un exercice de trapéziste. Il est temps d’imaginer à quoi ces changements institutionnels radicaux pourraient ressembler dans le contexte de ces contraintes. L’enseignement de la diversité dans les lycées et universités qui échouent à se traduire en initiatives d’engagement civique étudiantes qui mettent en priorité l’équité des résultats devraient être révisés en ce sens. Les universitaires devraient puiser dans leur liberté universitaire de manière plus stratégique, liant engagement civique et responsabilité dans leurs approches concernant l’enseignement et l’apprentissage.

Je propose également de compléter ce qu’on appelle « enquêtes et pratiques intersectionnelles » – l’examen des oppressions individuelles mutuellement constitutives (racisme, sexisme, abléisme, transphobie, agéisme, inégalités économiques, etc.) – par ce que j’appelle « enquêtes et pratiques interstitielles, » une structure pour comprendre et répondre des impacts divergents, et se recoupant, des forces d’oppression au sein et à travers les communautés. Les explications des impacts inégaux, se recoupant, et à la fois contradictoires des forces d’iniquité et d’oppression se prêtent plus facilement à la collaboration ; elles circonviennent les politiques d’identité clivantes sur lesquelles la matrice raciale se repose. Combler les fossés digitaux est une autre tâche de changement social facile et cependant trop souvent négligée. Ce qui est nécessaire sont plus d’agents et d’alliés de changement sociaux enseignant les étudiants d’engager des outils et des stratégies de communication digitale avancés afin de promouvoir la compréhension interculturelle, des partenariats communautaires durables, et des décisions éthiques et justes à l’encontre des œuvres du pouvoir aux multiples facettes, au niveau des communautés, des institutions et des politiques.

La vidéo présentant le meurtre de George Floyd et les formes cachées de racialisation qui persistent, alors que la nation s’unit en protestation contre la tragédie, est une sombre réalité. Néanmoins, la vidéo a ouvert un trou-de-ver s’échappant de la matrice raciale. En guise de conclusion, nous devons nous poser une dernière question difficile : à qui bénéficient les symboliques gestes de solidarité employés à restaurer la paix destinée à être troublée ? Alors que les anarchistes des Boogaloo assimilent les manifestations de masse aux mécanismes de haine raciale et à l’agitation civile, nous devons dépasser les appels à décorer les fenêtres et ceux de la fatigue raciale pour voir, au lieu d’un jour comme les autres, l’aube d’un jour comme jamais il y en a eu d’autres.


Alexander, Michelle. The New Jim Crow: Mass Incarceration in the Age of Colorblindness. The New Press, 2012.

Coates, Rodney D., et. al. The Matrix of Race: Social Construction, Intersectionality, and Inequality. SAGE, 2017.

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Winters, Johnathan. Hope Draped in Black: Race, Melancholy, and the Agony of Progress. Duke UP, 2016.


Cet article est soutenu par


PROFESSOR JERMAINE SINGLETON writer

Jermaine Singleton is Professor of English at Hamline University. His essays appear in College Literature, MAWA Review, Journal of the Midwest Modern Languages Association, James Baldwin’s Go Tell It on the Mountain: Historical and Critical Essays (2005), and Black Cultural Production After Civil Rights (2019). He is the author of Cultural Melancholy: Readings of Race, Impossible Mourning, and Ritual by the University of Illinois Press (2015). He is currently completing a book manuscript titled The New Traffic in Blackness: Essays on Race, Neoliberalism, and Popular Culture.

Jermaine was previously featured in Stillpoint Magazine Issue 001: FANTASY with Out of the Hands of Others’ Fantasies: Minority Mental Health in the Eye of Neoliberalism’s Storm.

WILLIAM BARYLO Translator

William Barylo (PhD., EHESS) is a UK-based researcher in Sociology. He is passionate about how young Muslims in Europe and North America use their cultural heritage and religious ethics to improve society through arts, the environment, social and economic justice and mental health. As a British Academy Postdoctoral Fellow at the University of Warwick, his current project ‘The Diaspora Strikes Back‘ explores activism amongst Sikh and Muslim millennials in Europe. He is the author of Young Muslim Change-Makers (2017).

CRICE artist

CRICE is Connor Rice, an award winning multi-media artist from Southside Minneapolis. His work is heavily inspired by hip-hop, street art and ancient propaganda. He uses art to document the issues and motifs of pan-Africanist realities throughout time and space.

This is the third in a series of three features of CRICE’s work in Stillpoint Magazine. You can find his previous contributions here and here.

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