S’il est Possible de Rêver

Word Count: 2,052 |
Download this article

by Aneta Stojnić
Works in Translation

with BLOODSOUND


artwork by ZINZI MINOTT


Read this essay in the original English in Issue 011: SLEEP.


Résumé : Dans ce court essai, la psychanalyste Aneta Stojnić répond aux questions « Pourquoi la psychanalyse ? Pourquoi maintenant ? » En fin de compte, elle suggère que le rôle de la psychanalyse aujourd’hui dans le « Nord globalisé, » hyperdéveloppé et numérisé n’est pas, en premier lieu, d’aider les individus à se « réveiller » dans une réalité globale précaire, comme on pourrait le supposer. Stojnić soutient plutôt que l’espace que la psychanalyse ouvre peut aider les individus à faire une pause suffisamment longue au milieu de la tempête de satisfactions simulées pour finalement s’endormir et, de là, peut-être, rêver.


« Je vous raconte mes rêves ? On fait encore ça (en analyse) ? » demande une nouvelle analysante avec vigilance et curiosité, comme si les rêves et leur interprétation étaient une sorte de relique du passé. Avec le temps, elle se trouve étonnée et surprise par les endroits de son esprit où le récit de ses rêves la conduit, et par les messages de l’inconscient qui voyagent à travers les rêves. Que sommes-nous devenus si nous ne croyons plus pouvoir être surpris par les mondes qui sont en nous ?

« Nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pouvons être. » 1

En réponse au thème de ce numéro, il m’a été demandé d’écrire sur ce que nous pourrions nommer le « sommeil » collectif, dans lequel nous nous trouvons, face au changement climatique, à l’intensification de la numérisation et à l’instabilité politique et sociale croissante dans le monde entier. Comment la psychanalyse, en particulier, pourrait-elle s’avérer utile pour éveiller ceux d’entre nous qui habitent les pays du Nord hautement développés à la prise de conscience de la réalité dans laquelle nous nous trouvons ? J’aimerais questionner cette proposition en réfléchissant plutôt à la manière dont la psychanalyse peut nous aider à trouver enfin le sommeil, et surtout à la manière dont elle peut nous aider à cultiver notre capacité à rêver, à symboliser et à sublimer face à une réalité de plus en plus dystopique.

L’apathie sociale, l’engourdissement, l’indifférence, l’inertie, l’oubli choisi, l’amnésie sélective — tout cela peut sembler correspondre à la métaphore du sommeil collectif. Cependant, je pense que la situation est bien plus grave : nous ne connaissons pas de sommeil collectif ; nous vivons dans une société insomniaque. La réalité frénétique du nécrocapitalisme tardif ne laisse pas de temps pour dormir ni pour penser.

« Quand on souffre d’insomnies, on n’est jamais vraiment endormi et on n’est jamais vraiment éveillé. Avec l’insomnie, plus rien n’est réel ! Tout devient lointain. Tout est une copie d’une copie d’une copie. » 2

Dans le présent dystopique que nous qualifions trop rapidement de « post-pandémique, » de nombreuses personnes se sentent dépassées, surmenées et désorientées : elles ont l’impression que les enjeux n’ont jamais été aussi énormes et que rien ne compte vraiment. Dans ce que l’on nomme les « premiers mondes, » la pandémie a brisé l’illusion de la sécurité et du contrôle. Agités et anxieux, nous sommes orientés vers l’apaisement par la consommation de plaisirs superficiels, de divertissements en barbe à papa qui s’évaporent avant d’être mangés, mais qui laissent un goût collant et nauséabond dans la bouche. Face à l’impuissance, ballottés entre fatalisme et nihilisme, les humains se sont résignés à la prévisibilité pseudo-apaisante des algorithmes. Les nouvelles sont ce qu’il y a dans le « feed » et le shopping consiste à cliquer sur des signifiants vacillants conçus pour dissimuler la matérialité de l’argent. Nous avons même normalisé (par le biais des applications de rencontre) le fait que le choix d’un amant ne diffère en rien des achats sur Amazon : définissez les paramètres et les algorithmes vous nourriront.

La prolifération du contrôle et l’accessibilité de la gratification instantanée dans le monde profondément numérisé détruisent notre capacité de fantaisie, de désir, de symbolisation et de sublimation. Il s’agit d’un phénomène uniquement contemporain. Prenons l’exemple évident de l’évolution du statut de la pornographie. Alors que l’histoire de la pornographie est aussi vieille que l’humanité, nous sommes aujourd’hui confrontés pour la première fois à un phénomène dominant de personnes qui ne parviennent pas à se masturber sans regarder de porno. Par le passé, les représentations pornographiques (visuelles et/ou littéraires) étaient généralement associées à des rituels pour les obtenir secrètement, des rituels qui jouaient sur l’excitation et servaient à stimuler l’imagination érotique, à enflammer la fantaisie et le désir. Aujourd’hui, la pornographie semble servir le but inverse : elle inhibe la fantaisie et arrête l’imagination dans la platitude de l’image sur écran, devenue destination finale. Ceci n’est qu’une illustration d’un phénomène qui pénètre toutes les sphères de la psyché humaine contemporaine. Comme le résume J. Russell :

[…] la réalité est que l’ère de la bio-politique a déjà été remplacée depuis des générations par une ère de la « psycho-politique, » dans laquelle le contrôle du temps et de l’attention par le marketing a remplacé tous les efforts visant à réguler le mouvement physique et le travail. Autrefois, il était formidable de devoir sortir et trouver des endroits pour acheter des choses spéciales, mais aujourd’hui, il suffit de rester chez soi et de les « commander. » Au-delà du thème de la gestion disciplinaire de Foucault, William Burroughs et plus tard Gilles Deleuze décriront les sociétés de contrôle. Une « société gouvernée par une logique divisée et abstraite » est en effet un monde dans lequel « les besoins émotionnels sont sacrifiés aux besoins matériels. » C’est pourquoi l’esprit, dirigé, conçu comme un dispositif anti-reconnaissance, peut être absolument contrôlé et privé de son désir, à l’ère de la domination par l’image.

Une société de contrôle, comme celle que nous vivons actuellement, s’effondre inévitablement dans un état de dérégulation totale. Tout est contrôlé et personne ne contrôle.

C’est l’ère de la solution miracle, des fausses promesses de gratification instantanée, du défilement sans fin des gros titres et de la constante surstimulation. Dans ce chaos, la psychanalyse nous demande de faire une pause pour prendre le temps de regarder à l’intérieur de nous et de nous laisser surprendre par les forces inconnues qui nous animent. Pour un humain contemporain, c’est presque une démarche contre-intuitive. En psychanalyse, nous nous intéressons à l’inconscient, et le processus analytique facilite un espace dans lequel l’Inconscient peut être librement exploré. Dans cet espace, un type unique d’intimité se déploie dans la relation entre l’analyste et l’analysant — qu’on appelle transfert/contre-transfert — et qui, comme Freud l’enseigne, est un effet inévitable du cadre neutre.3 La méthode de la psychanalyse semble simple : dire tout ce qui nous vient à l’esprit, ici et maintenant, au fur et à mesure que nous parlons, aussi librement et ouvertement que possible. C’est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît et cela demande beaucoup de temps et de patience. Un analysant m’a dit un jour : « Si le rêve est la voie royale menant à l’inconscient, alors on avance sur ce chemin comme un fantassin. » On avance sur ce chemin à travers les résistances, nous marchons tels des fantassins, lentement, en fournissant beaucoup d’efforts, à travers les territoires inexplorés de l’Inconscient.

La psychanalyse nous demande de la patience, de l’allégresse, du dévouement, de la tolérance à la frustration et une ouverture radicale à tout ce qui émerge des coulisses de notre esprit. Il n’y a pas de formules, pas de solutions à l’emporte-pièce. Nous ne savons pas combien de temps cela prendra, ni où cela nous mènera. Il n’y a pas d’algorithme : l’Inconscient est intemporel ; il n’a ni chronologie ni logique.

C’est pourquoi, lorsqu’elle est pratiquée avec rigueur, la psychanalyse peut devenir un espace de liberté ultime, la liberté de prendre du temps dans le monde de l’urgence permanente, la liberté de s’endormir et de rêver dans la société des insomniaques, la liberté de raconter son rêve à un autre qui s’y plongera avec vous sans crainte et sans jugement. Pour que le rêve soit complet, il doit être raconté.


1 Réplique d’Ophélie dans Hamlet, de Shakespeare (4.5.43-44).

2 Chuck Palahniuk, Fight Club.

3 Par neutralité, ici, je veux simplement dire que deux personnes ne sont jamais entrées exactement dans le même cabinet et que deux personnes n’ont jamais eu exactement le même analyste, car si l’analyste est une personne réelle dans une pièce réelle, elle est aussi toujours co-créée dans la réalité psychique de l’analysant. De cette façon, la neutralité du cadre ouvre l’espace du jeu et de la créativité.


Freud, Sigmund, « Observations sur l’amour de transfert, » La Technique analytique, PUF, 1981.

Russell, Jared, « Response to Giuseppe Civitarese IPTAR 5.8.21, » The Institute for Psychoanalytic Training and Research, 5 Aug. 2021, New York.


BLOODSOUND

; confronts the rupture, the glitch, and the disturbances which seek to obfuscate truth.
; foregrounds the struggle from which sound came, and honours the hands that produced it.
; is an homage, a protest, a feeling, and a bleeding.

An attendance to the enslaved [now ancestral] bodies, descendant bodies, and sonic bodies that our collective survivals and resistances rest upon.

Minott presents the Soundsystem as a fugitive entity; a living and active agent grounded in its complex history of insurgent and resistant sonic dance practises. Forged by communal perseverance, economic endurance, and the advanced phonographic technologies of Jamaica, Minott reflects on the underground movements of Caribbean sound cultures. Presenting possibility through the encounter of the vibration, she seeks to refuse the dissonances which separate the sonic from liberatory and reparative motions. Such multiplicities are encapsulated through the loud, haptic, visceral, explosive, and auditory phenomena of the Soundsystem.

Transmission Gallery

​​BLOODSOUND was a solo exhibition held at Transmission Gallery, Glasgow, UK, February–May 2022. As well as the sound sculpture BLOODSOUND, it featured works of prints, moving image, sound, and sculpture expanding from Minott’s durational film work(s) FI DEM—released annually on the 22nd June to commemorate the Windrush Generation.

The image is a side view of a sound system as part of the artists work.  The sound system is made up of two speakers side by side and one in the centre and on top. The speakers are translucent with a red tint due to the lighting of the room and they are placed on a small stage. The sound system is in a gallery where you can see two windows at the back, one on the left of the speakers, which is rectangular and has a red tint, and one which is square and transparent and is on the right of the speaker. Also in the room is a pillar behind the system and a red light.

ANETA STOJNIĆ writer

Aneta Stojnić, PhD, is a psychoanalyst, theoretician, and artist born in Belgrade, Yugoslavia, based in New York. Alongside psychoanalysis, Aneta’s areas of research include artistic and theoretical practices at the intersections of art, culture, and politics. She has published two books and two co-edited volumes, as well as dozens of peer-reviewed articles on contemporary art, media, and culture. She is one of the editors of the magazine ROOM: A Sketchbook for Analytic Action and co-host of Room podcast. Aneta has authored numerous artistic and curatorial projects in collaboration with renowned institutions and organizations all over Europe. She has taught performance, art, and media theory at universities and art academies in Vienna, Belgrade, and Ghent. Currently she is a co-director of the Child and Adolescent Program at the Institute for Psychoanalytic Training and Research, where she is also an advanced candidate in the Adult Psychoanalytic Program. She regularly presents her work and research at conferences and festivals worldwide.

ZINZI MINOTT artist

Zinzi Minott‘s work focuses on the relationship between dance, bodies, and politics. As a dancer, she seeks to complicate the boundaries of dance and the place of Black women’s bodies within the form. Her work explores how dance is perceived through the prisms of race, queer culture, gender, and class.

Zinzi is interested in the space between dance and other art forms, and though her practice is driven through dance, the outcomes range from performance and live art to sound, film and video, dances, and object-based work.

Photography by Rohan Aiyinde. Video image by Matthew Arthur Williams.

© Copyright for all texts published in Stillpoint Magazine are held by the authors thereof, and for all visual artworks by the visual artists thereof, effective from the year of publication. Stillpoint Magazine holds copyright to all additional images, branding, design and supplementary texts across stillpointmag.org as well as in additional social media profiles, digital platforms and print materials. All rights reserved.